Amélie Oudéa Castéra est mariée à Frédéric Oudéa. Ce nom est sans doute familier à ceux qui s’intéressent aux magouilles financières : ce monsieur a longtemps dirigé la Société Générale. Il a été mêlé à l’affaire des Panama Papers, un énième scandale qui a révélé les pratiques fiscales de grandes fortunes et de banques françaises, parmi lesquelles la Société Générale. En 2016, la presse s’est rendu compte que la Société Générale avait créé de nombreuses sociétés offshore (permettant l’évasion fiscale) avec l’aide d’un cabinet panaméen, alors que Frédéric Oudéa avait affirmé, 4 ans plus tôt, devant une Commission d’enquête sénatoriale, que sa banque n’avait plus de lien avec le Panama. Un mensonge sous serment donc. Mais dans sa grande générosité, les sénateurs ont décidé de ne pas le poursuivre, solidarité de classe oblige.
Sa participation à la dissimulation de mécanismes d’évasion fiscale de grande ampleur est d’autant plus choquante qu’à la base, Frédéric Oudéa est un inspecteur des finances, c’est-à-dire un poste prestigieux dans la Haute fonction publique. Il a été formé par des grandes écoles publiques, Polytechnique et l’ENA, pour servir l’Etat. Il a même été conseiller ministériel du ministre du budget, un certain Nicolas Sarkozy, dans les années 90… avant de mettre ses connaissances au service d’une banque privée qui a donc arnaqué l’Etat et le contribuable en prenant part à des montages de fraude fiscale.
Mais en revanche, l’Etat a bien été là pour cette banque, la renflouant de plusieurs milliards d’euros après la crise financière de 2008… ce qui n’a pas empêché ses dirigeants, parmi lesquels Frédéric Oudéa, de tenter de s’octroyer de généreux stock options sur le dos du contribuable. Avant de devoir y renoncer sous pression du gouvernement Sarkozy.
Amélie Oudéa-Castéra, qui a suivi le même parcours typique de la bourgeoisie française (école, collège et lycée des beaux quartiers parisiens, Sciences Po, ENA – tout ça au frais du contribuable évidemment, mais entre semblables bourgeois) a elle aussi fait des aller-retours entre public et privé. Elle commence elle aussi sa carrière comme haut fonctionnaire, à la Cour des comptes, avant de partir travailler chez Axa puis Carrefour, et de revenir dans le public comme ministre donc. On comprend bien l’intérêt pour le secteur privé de recruter des hauts fonctionnaires : ils connaissent les rouages de l’Etat, y ont toujours des accointances et savent donc utiliser voire instrumentaliser la législation et l’argent du contribuable pour le profit des actionnaires. On comprend aussi l’intérêt pour les jeunes bourgeois d’aller vers la haute fonction publique : quand ils partent dans le privé, ils restent des fonctionnaires détachés et peuvent donc retrouver un poste à tout moment, c’est un peu leur assurance-chômage à eux… Mais quel intérêt pour le citoyen et contribuable d’avoir une ex-dirigeante de Carrefour comme ministre ? Quelle sévérité peut-on par exemple attendre, sur des sujets comme l’inflation alimentaire, de ministres qui pensent toujours à leurs anciennes entreprises (et, généralement, y retournent car cela paye mieux) ?
La séparation entre le public et le privé est une fable à laquelle nous autres citoyens de base sommes les seuls à croire. Car les bourgeois, eux, s’en moquent. Ils ne font aucune différence, n’ont aucun “sens de l’Etat” comme ils aiment à se le raconter, et la notion “d’intérêt général” leur est absolument inconnue. En tant qu’individu, leur parcours requiert de saisir toutes les opportunités, et les allers-retours publics-privés en sont. En tant que classe, il leur faut tenir à la fois l’Etat et la direction du secteur privé pour s’enrichir pleinement. Ce qu’ils nomment, pour le folklore, “intérêt général”, n’est rien d’autre qu’un intérêt de classe.
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